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Témoignage de Alain Bosdecher, complémentaire à l'étude de Jean-Claude Prat 

« Les Francas en Haute-Loire ». Centre d’Histoire sociale N°11, Éditions du Roure, 2020.

Une grande affaire : la démocratisation des groupes d’enfants

À mes yeux, les « conseils de camaraderie » ont marqué une différence essentielle entre les Francas et d’autres mouvements de jeunesse comme les CEMEA (que j’ai également fréquentés). Au départ, cette innovation se rattachait elle aussi à l’éducation nouvelle : chaque enfant devait prendre en charge son devenir, sous la conduite de l’adulte. Mais il y avait mieux. Ces conseils d’enfants supposaient une vision évolutive des groupes au cours de leur séjour d’été. Rien n’était figé : tout restait à vivre. L’équipe d’encadrement ne devait pas se contenter d’un sentiment diffus de progression : il s’agissait de la structurer, de lui donner une réalité, et de la placer au centre du dispositif.  

Faire le bilan de la journée écoulée, participer aux décisions collectives et les appliquer. Prendre la parole, écouter autrui, comprendre ce qui a été fait, et se projeter dans ce que l’on peut faire pour mieux vivre ensemble, dans le respect de tous. Autant de tâches centrales dans l’apprentissage de la démocratie. Lorsque les choses se passaient bien, le collectif d’une quinzaine ou d’une vingtaine d’enfants, pris en charge par deux animateurs, par l’action vécue dans la journée et la parole échangée le soir, au fil du séjour faisait l’expérience de plusieurs étapes de vie. D’abord, les premiers temps, on reconnaissait et on adoptait les règles communes définies par les adultes, les grands principes étant posés (respect de l’autre, écoute, participation aux tâches matérielles). Les étapes suivantes permettaient au groupe de prendre de plus en plus d’initiatives : du simple choix des activités à la mise en œuvre d’un projet commun servant de colonne vertébrale à la totalité du temps passé ensemble. Par exemple, en 1974 à Allègre, je me rappelle avoir guidé un groupe de 10-12 ans dans l’élaboration d’une mini-pièce de théâtre sur le principe du son et lumière, à partir d’une bande enregistrée, les enfants prenant de multiples initiatives, sur le scénario, la répartition des rôles, les costumes, le choix des chansons, etc. L’utopie c’était… que le groupe puisse se passer d’animateur, au terme de son évolution !

         C’est ainsi que « l’homme le plus libre possible dans la société la plus démocratique possible » prenait ici tout son sens. Pour les Francas, l’enfant, et le collectif d’enfants qu’accompagnait l’animateur n’étaient pas une donnée immuable. Bien au contraire il fallait, au sein d’une micro-expérience et le temps d’un été, les rendre meilleurs, plus heureux et plus autonomes. Chaque enfant se révélait à lui-même en permettant au groupe de progresser : sorte d’idéal social dans la recherche conjointe d’un épanouissement individuel et collectif.

Par l’éducation, en agissant sur les conditions matérielles et relationnelles dans lesquelles vivaient les enfants, et dans le désir partagé, les Francas avaient la conviction de préparer le monde de demain.